La note du CSP : l’OSTE de maternelle

Une note taylorienne du Conseil Supérieur des Programmes sur l’école maternelle est sortie en décembre. Entre recentrage sur les fondamentaux et pilotage par les évaluations, cette note s’inscrit fortement dans la logique de l’OSTE par laquelle la modification des pratiques professionnelles sera mise au service de la modification de la maternelle.

Les attaques contre la maternelle ne sont pas nouvelles. On se souvient qu’en 2007 déjà, le ministre Xavier Darcos lançait ses missiles en direction de ces maîtres et ces maîtresses de maternelle justes capables de changer des couches et de faire faire la sieste à des enfants. En 2011 Luc Châtel a tenté de mettre en place des évaluations en maternelle et la dernière note de rentrée 2019 recentre sans appel la maternelle sur les « apprentissages fondamentaux ». Tous les ministres de l’éducation nationale ont eu besoin de mettre aux pas les pratiques enseignantes pour faire passer leurs réformes dans une école maternelle à la longue et puissante culture professionnelle. Ils savent que le métier de celles et ceux qui sont en poste en maternelle est fort d’une lointaine histoire et de gestes durablement ancrés. Pour attaquer la maternelle, il faudra briser sa carapace faite d’une culture solide, en organisant scientifiquement le travail des professeurs des écoles.

C’est pour cela que dans cette note, plus qu’à l’accoutumé, la science est invoquée.

Qui dit OSTE dit science bien entendu, et la récente note du CSP[1] ne se prive pas la convoquer pour justifier les injonctions qu’elle porte. Mais toute la science, avec ses débats, ses contradictions, ses nécessaires évolutions ne peut y figurer. Ici les scientifiques sont sélectionnés, triés sur le volet, tout le monde n’entre pas facilement dans le grand conseil scientifique sur lequel se base cette note. Une note qui, c’est un fait assez rare pour le souligner, ne se contente pas de de citer quelques références de chercheurs en notes de bas de page mais intègre directement des chercheurs ad nominem dans le corps du texte. Pour être plus précis, 4 chercheurs exclusivement : le duo Alain Bentolila et Stanislas Dehaene pour la partie consacrée à la lecture, et le macroniste Cédric Villani et son compère Charles Torossian pour ce qui concerne les mathématiques.

Pardon, je dois préciser pour être honnête que la note du CSP cite aussi Jean Piaget… mais uniquement pour critiquer un point de vue qui a « trop longtemps dominé ». Et pour le reste des savoirs en jeu à la maternelle ? Pour ce que cette note nomme en grand fourre-tout « explorer le monde » ? Aucune référence n’est faite à des chercheurs. Mais après tout, on n’est déjà plus dans les fondamentaux.

La science donc, dans cette note du CSP, c’est 4 chercheurs, garants de la science officielle, celle qui fait loi et qui, comme l’expliquait F.W.Taylor, légitime la prescription. Car même si ce n’est qu’une note, les intentions prescriptives sont fortes.

En ce qui concerne la lecture par exemple, la note du CSP alterne entre des comptes rendus de ce que dit la science (réduite aux deux comparses cités plus haut) et des préconisations sur l’exécution de la tâche par l’enseignant. Ainsi on apprend dans cette note que « L’apprentissage de la lecture met en jeu l’activité cérébrale de la reconnaissance […] cette découverte scientifique permet de comprendre l’inefficacité d’ailleurs constatée de la méthode dite « globale » d’apprentissage de la lecture ». Et d’en déduire alors que le travail de l’enseignant de maternelle consiste à préparer « la conscience segmentale » de l’enfant pour lui enseigner la lecture des lettres et non de mots sous leurs formes fixes. Ce qui va rapidement aller à l’encontre de ce qui se passe de manière empirique en classe où le petit Antoine va reconnaitre son étiquette prénom de manière globale bien avant de comprendre que A et N ça fait le son « ã ». Et plus tard Antoine écrira « pour maman » sur son dessin avant de pouvoir même nommer toutes les lettres de ces mots. Mais qu’importe le réel, Stanislas Dehaene a pour lui « la technologie de l’imagerie par Résonnance Magnétique (IRM) » qui permet d’affirmer dans cette note du CSP que « des circuits sont sollicités dans une petite zone de l’hémisphère gauche du cerveau ». Information capitale, le lecteur de ce blog en conviendra, pour gérer une classe de 30 élèves de petite section !  

La science est ainsi assignée à la modification des pratiques enseignantes pour préparer les professeurs des écoles à évaluer… et vice versa.

En effet, c’est la grande dominante de cette note : les enseignants de maternelle vont devoir évaluer les savoirs de leurs élèves à l’entrée et à la sortie du cursus. Comme nous l’avions montré dans un précédent article de ce blog, dans le paradigme taylorien, ces évaluations vont influer petit à petit sur le travail des professeurs des écoles. Elles sont mises au service de l’OSTE pour changer les pratiques professionnelles d’enseignants qui, d’ordinaire, évaluent in-situ leurs élèves en faisant des observations de leurs compétences. Par l’entremise de cette exigence nouvelle, ils vont avoir tendance plutôt à enseigner ce qui doit être observé par ces évaluations standardisées.

Rajoutons que pour l’école maternelle, la réciproque de cette assertion est aussi vraie : les pratiques professionnelles vont devoir changer pour permettre la dévolution de ces évaluations. Pour pouvoir faire passer des évaluations standardisées au même moment partout en France à des enfants âgées d’à peine 3 ans, les enseignants vont devoir adapter sérieusement leurs pratiques. La possibilité même de ce challenge repose essentiellement sur 2 conditions. Premièrement, il faut réduire les savoirs enseignés en maternelle aux fondamentaux. On ne pourra pas évaluer l’ensemble des compétences d’un enfant si jeune et les enjeux de savoirs vont se réduire à leur portion congrue et évaluable : « connaitre le nom des lettres », « segmenter un mot en syllabes », « savoir dire la suite des nombres », « placer un nombre sur une ligne numérique »… Les fondamentaux quoi ! Deuxièmement, il va falloir découper les compétences en mini-compétences, les savoirs en mini-savoirs. On ne pourra pas évaluer globalement les facultés de raisonnement d’une enfant si petit, et les compétences attendues devront être fragmentées autant que possible pour les rendre évaluables.

La science pour justifier, les évaluations pour contraindre :  les pratiques enseignantes et l’école maternelle vont se transformer dans un même mouvement.

Nous commençons à bien connaitre la stratégie des politiques s’inspirant de l’organisation scientifique du travail chère à Taylor. Probablement qu’au regard de ces évaluations nationales standardisées, l’institution scolaire et les maîtres et maîtresses de maternelle seront à leur tour évalués voire jugés. Qu’à cela ne tienne, la seconde phase du plan est déjà dans les rotatives et tout un tas de petits guides de bonnes pratiques, sur le modèle du « guide pour enseigner le vocabulaire à l’école maternelle », sont prêts à arriver dans les salles des maîtres. L’OSTE va s’articuler autour de la multiplication de guides, de protocoles ou de circulaires. Après tout, n’est-ce pas moins cher que de former correctement des salariés ? Et puis, mis en difficulté par de mauvaises conditions de travail, placé en insécurité face à une pression exercée par la hiérarchie ou par les familles, déprofessionnalisés par l’individualisation de leurs pratiques, ou lâchés dans les classes sans réelle formation… les professeurs des écoles se raccrocheront plus facilement à des injonctions simples et cadres rassurants. Les guides de bonnes pratiques seront d’autant plus pénétrants dans le métier qu’ils seront maquillés en bouées de sauvetage.

Petit à petit, la culture et l’histoire de l’école maternelle vont être rongées, le métier dévitalisé. Ce sont les conditions nécessaires à la transformation de l’école maternelle.

Dans son introduction, la note du CSP insiste sur « le rôle majeur de l’enseignement préélémentaire dans la prévention, dès le plus jeune âge, des difficultés scolaires ». Une bien belle déclaration d’intention pour une toute autre ambition. Derrière le masque d’une école plus égalitaire se cache le visage hideux de la privatisation de l’éducation nationale. Comme lorsqu’un procureur tente de comprendre une entreprise crapuleuse, nous devons nous demander quel est le mobile de la casse organisée de l’école maternelle ? Nous cherchons dans chaque article de ce blog à l’objectiver : l’OSTE est au service d’un projet libéral. Le spectre des jardins d’enfants, privatisés ou territorialisés, est toujours présent. Faute de ne pas réussir à tout mettre sur le marché, les gouvernements libéraux tentent par tous les moyens de réduire les coûts des politiques publiques, l’école maternelle en tête. C’est ainsi que cette école réduite aux fondamentaux peut couter moins cher dès lors qu’on externaliserait ce qui peut l’être (comme la motricité, les arts ou encore la difficulté scolaire psychologisée ou médicalisée). La maternelle est peut-être un des derniers chantiers de Jean-Michel Blanquer dans son projet pour « l’école de demain ». Celle d’une école de moins en moins démocratique et qui prépare sa mise sur le marché. Pour la mettre en place, Jean-Michel Blanquer peut compter sur la puissance de l’OSTE.

[1] https://www.education.gouv.fr/note-d-analyse-et-de-propositions-du-csp-sur-le-programme-d-enseignement-de-l-ecole-maternelle-307861

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