Les C.P.C : des relais émergeant de l’OSTE

Les stratégies du nouveau management public valorisent l’usage de cadres intermédiaires pour mieux contraindre le travail enseignant. Avec l’accélération des réformes, nous voyons l’émergence de nouveaux relais de la prescription comme peuvent l’être les CPC : pas encore tout à fait des cadres, mais déjà plus des collègues ordinaires.

Reconnaissons une chose à Jean-Michel Blanquer, c’est qu’il ne fait les choses en catimini. Pas besoin de tenter de repérer des ruses cachées ou d’enquêter sur ses mobiles, il suffit de consulter ses ouvrages pour y lire clairement ses intentions. Il explique par exemple dans un de ces livres[1] que les IEN doivent repérer « les compétences pédagogiques pour lesquelles les professeurs ont besoin d’un accompagnement, et de construire ensuite les plans de formation continue à partir des constats du terrain et en articulation avec les politiques nationales ». Le ministre ajoute alors qu’«il importe également d’associer systématiquement à ces formations les conseillers pédagogiques qui se rendent dans les classes et qui épaulent l’inspecteur ». Il finit par dévoiler que tout cela sert à « sensibiliser les professeurs aux approches scientifiques de la pédagogie qu’il est nécessaire d’engager pour la réussite des élèves » en mettant l’accent sur les « points essentiels du renouveau pédagogique que nous voulons instituer, comme l’apport des sciences cognitives ». 

C’est dans cette logique, propre à l’OSTE, que se mettent en place des formations continues imposées, centrées sur les fondamentaux, basées sur des guides de bonnes pratiques construits en dehors de la situation de travail et faisant référence à une partie congrue des sciences de l’éducation. Pour que tout ceci s’agence comme il faut, les garants de l’OSTE ont besoin de courroies de transmission sur le terrain. Les CPC font alors résonner malgré eux la formule que Frederick Winslow Taylor lançait à ses ouvriers : « On ne vous demande pas de penser, y’a des gens payés pour ça ». 

Au sein de l’organisation macroscopique du travail enseignant, il y a bien entendu des cadres intermédiaires, dont l’existence précède la taylorisation de l’éducation nationale; la bureaucratie de la fonction publique ayant pensé bien avant l’OSTE une organisation pyramidale du système. Les IEN en sont par exemple un des rouages officiels, mais de manière informelle de plus en plus de fonctions s’imposent comme relais de la hiérarchie sur le terrain : directeurs d’école, coordonnateurs REP, IMF… et pour ce qui nous concerne ici, les Conseillers Pédagogiques de Circonscription.

Si nous nous intéressons à cette fonction dans ce blog c’est parce qu’ils constituent un outil charnière dans l’OSTE dont ils sont les premières victimes. En effet, pour briser et soumettre le métier enseignant, l’OSTE doit briser et soumettre le métier de CPC.

Ne pas se donner les moyens de comprendre ce qui se joue pour les CPC c’est se priver de comprendre vraiment comment l’école sombre petit à petit dans des logiques managériales libérales. Alors commençons par le début : pour modifier les pratiques des CPC dans la logique taylorienne, il faut invoquer la science. Les lecteurs de ce blog commencent sans doute à s’y habituer : lorsque nous parlons de « la » science, c’est en réalité une partie réduite des sciences de l’éducation dont il s’agit, plutôt centrée sur les sciences cognitives, et compatible avec un projet politique libéral pour l’école. Les CPC participent ainsi à la production d’indicateurs qui seront ensuite commentés par ces scientifiques dont la tâche est de donner caution rationnelle à la prescription. Le rôle du CPC est alors de faire, au plus près du terrain, la promotion de ces nouvelles tâches pour les enseignants et des manières renouvelées de les exécuter, produites par la hiérarchie. Il suffit de lire pour s’en convaincre les « 21 mesures pour l’enseignement des mathématiques »[2] de Cédric Villani et Charles Torossian. Se basant sur la science, ce guide est livré clé en main aux CPC pour s’en faire le relais dans les salles des maîtres. Nous avons parlé dans ce blog de ces dispositifs inscrits dans la cohérence de l’OSTE visant à imposer les bonnes pratiques.

Si l’administration sait se doter d’outils coercitifs ou d’outils incitatifs pour imposer des pratiques, elle sait aussi convaincre en distillant des gestes professionnels par le biais de la formation continue. Pour cela elle doit modifier les pratiques des CPC pour modifier celles des profs.

Une modification « au carré » pinscrire au travers de laquelle les cultures professionnelles des professeurs des écoles comme celles des CPC sont mises à mal, où la santé des uns comme des autres est sacrifiée sur l’autel de l’OSTE. En effet, tout comme les professeurs des écoles, les CPC sont assis sur une culture et une histoire professionnelle qui cadre leur activité de travail quotidienne. Du retour après la seconde guerre aux Ecole Normales jusqu’au virage des années 2010 où l’on voit la fin des IUFM, en passant par le sursaut de 1968 et du colloque d’Amiens, les CPC peuvent s’appuyer sur une histoire articulée avec celle de l’école publique, laïque et gratuite, et sur une culture républicaine qui est celle de l’égalité, de l’émancipation, de l’accès aux savoirs pour tous … Rien dans le cahier des charges des CPC ne leur confère formellement le rôle de courroie de transmission de l’OSTE[3]. Mais leurs sélections par profilage, leur proximité avec la hiérarchie encore la validation de leurs compétence par un certificat ( le CAFIPEMF), tout concourt de plus en plus à sélectionner les bons sujets de l’institution par cooptation de la hiérarchie plutôt qu’à valoriser les compétences pédagogiques des CPC permettant ensuite d’accompagner les enseignants dans leur développement professionnel. 

On retrouve chez les CPC des caractéristiques décrites dans les travaux menés par Anne-Marie Dujarier[4] sur les cadres intermédiaires, ces planeurs qui, dans la chaîne hiérarchique, conçoivent la tâche pour ceux d’« en bas » en répondant à des critères élaborés par ceux d’ « en haut ». Ayant conscience que leurs préconisations ne visent pas tant à améliorer le travail des professeurs que de les convaincre du bienfondé des bonnes pratiques rationnellement validées par le ministère, les CPC planent au-dessus du travail réel. Perdant ainsi le sens de leur activité de travail, ils souffrent d’un métier qui se transforme au grès de l’OSTE. Cette souffrance est d’autant plus réelle qu’elle est un outil du nouveau management. En effet, pour contraindre le travail les CPC, l’administration use des mêmes stratagèmes que pour contraindre le travail des enseignants : intensifier la tâche, noyer le travailleur sous les injonctions paradoxales, augmenter la charge de travail, exiger de plus en plus de missions sans lien avec le travail réel de ces professionnels de la formation … pour au final s’assurer de leur adhésion aux réformes. C’est ainsi que l’on retrouve sur le terrain des CPC vantant les mérites des évaluations nationales, recentrant leurs formations sur les fondamentaux, favorisant la mise en place des 2S2C … alors même que la profession s’oppose à cette corrosion du métier.

De la même manière que pour les professeurs des écoles, les CPC sont prisonniers de l’OSTE dont ils sont un rouage indispensable dans la mise en place de formations continues basées sur les bonnes pratiques. Les CPC sont pris dans la spirale du taylorise à l’école. Une spirale qui génère des dégâts sur leur métier  autant que sur les personnels assumant cette fonction, et par ricochet sur l’ensemble des professeurs des écoles. Mais qu’importe, le but de l’OSTE, on ne le répètera jamais assez, n’est pas d’améliorer le travail des enseignants mais de le soumettre.


[1] Jean-Michel Blanquer., Construisons ensemble l’école de la confiance, Odile Jacob, Paris, 2018. P. 124.

[2] https://www.education.gouv.fr/21-mesures-pour-l-enseignement-des-mathematiques-3242

[3] https://www.education.gouv.fr/bo/15/Hebdo30/MENE1516648C.htm

[4] Anne-Marie Dujarier, Le management désincarné : enquête sur les nouveaux cadres du travail, La découverte, 2016. 

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