Le manque d’enseignant.e.s : source et produit de l’OSTE

Que l’académie de Versailles organise un « jobdating » enseignant ou que celle de Nancy-Metz mette en place un dispositif virtuel de remplacement et une réalité remonte à la surface : il n’y a plus assez de professeur.e.s dans le pays. Cette pénurie est tout autant une aubaine pour l’Organisation Scientifique du Travail Enseignant qu’une conséquence de sa mise en place dans l’Éducation Nationale.

L’école manque de professeur.e.s.

On connaissait le black Friday ou les fins de marchés quand les commerçants soldent leurs produits et que « tout doit disparaitre ». Cette semaine dans l’académie de Versailles, c’était la grande braderie du métier d’enseignant. Si l’évènement « Jobdating » dans l’Education Nationale a su faire le buzz dans les médias, il n’est en réalité que la partie émergée d’un phénomène plus profond et particulièrement inquiétant, et que nous tentons de comprendre au fil des articles de ce blog. La pénurie actuelle d’enseignant.e.s, devenue insupportable, n’est que l’aboutissement d’un processus qui a commencé par la suppression de 70 000 postes sous la présidence Sarkozy, jamais totalement compensée sous la gauche et que le mandat Blanquer a finit d’achever. Etudiant.e.s, parents ou enseignant.e.s en constatent les effets dévastateurs : les remplaçant.e.s n’arrivent jamais dans les établissements, des classes restent des mois entiers sans enseignant.e.s et des maires sont contraint.e.s de passer des petites annonces sur internet pour trouver un maître ou une maîtresse dans une école. En miroir, les démissions de professeur.e.s s’enchainent, les concours d’entrée dans le métier sont désertés et les burn-out se multiplient.

Cette « crise » au sein de l’Éducation Nationale n’est certainement pas le fruit du hasard. Encore une fois nous ne faisons dans ce blog aucune dérive complotiste mais nous tentons de comprendre les logiques qui sont à l’œuvre et leurs liens avec une philosophie dont nous devons la paternité à Frederick Winslow Taylor. La pénurie d’enseignant.e.s dont nous parlent les journaux est en réalité un élément permettant d’assoir une Organisation Scientifique du Travail Enseignant en même temps qu’elle en est une conséquence directe. La Taylorisation du travail enseignant revêt ainsi un aspect biface, se nourrissant du manque de professeur tout en générant la pénurie de ces dernier.e.s.  

Taylor l’avait bien compris, l’enjeu de l’organisation du travail est dans la réduction des coûts de production, permettant tout à la fois à l’entreprise d’être compétitive sur le marché et au patron de s’enrichir. A niveau de l’Etat, les cadeaux faits aux patrons ont un coût qu’il faut compenser en baissant les dépenses dans les services publics et dans l’Éducation Nationale cela se traduit par un recrutement au plus près des besoins du terrain… avant de revoir régulièrement ces besoins à baisse.  

L’OSTE a besoin de la pénurie

Au-delà des logiques comptables, pour Taylor, la division verticale du travail ne suffit pas et demande encore trop d’ouvrièr.e.s qualifié.e.s, toujours trop libres à son goût(1). Une division horizontale du travail s’impose alors et se concrétise par une organisation dans laquelle les tâches sont le plus élémentaires possibles et exécutables selon un processus unique et définit par l’employeur que Taylor appelle « the one best way ». Blanquer a beaucoup joué dans ce tournant pris par l’école en tentant de mettre en place une « one best way » éducative au travers de protocoles, de guides de bonnes pratiques, de méthodes … basées sur « la science ». Cette « one best way » permet de recruter des travailleuses et des travailleurs moins bien qualifié.e.s tout en facilitant la tâche d’un gouvernement obsédé par les économies budgétaires. C’est à ce moment-là que les suppressions de postes apparaissent et qu’une pression, un stress, s’exerce sur l’emploi. Des candidat.e.s moins qualifié.e.s se présentent alors, plus prompt à accepter des tâches hyper cadrées par des protocoles. En effet, moins les enseignant.e.s entrant dans la profession seront qualifié.e.s et formé.e.s, moins iels rechigneront à exercer un métier aseptisé par des guides de bonnes pratiques, à faire un travail « scientifiquement » organisé, à être exécutant.e.s de tâches dont le sens leur échappe. On peut alors dire que l’OSTE se nourrit de la pénurie actuelle de professeur.e.s.  

L’OSTE permet la pénurie

En retour, l’avènement d’une Organisation Scientifique du Travail Enseignant permet de se passer des professeur.e.s les plus qualifié.e.s. La mise en place ces dernières années de méthodes de travail cadrant au plus près l’activité des professeur.e.s ou de guides de bonnes pratiques insufflés par une formation initiale et continue dédiée à faire descendre la prescription dans les salles des profs, participe à déqualifier l’enseignant.e. L’embauche de contractuel.le.s fut un autre levier puissant de cette déqualification. Et la boite à outils néolibérale s’est enrichie de tout un tas de nouveaux instruments ayant cette finalité déqualifiante et que les notes de ce blog tentent de repérer.

Possédant une culture professionnelle au rabais, l’enseignant.e arrive dans sa salle de classe pour exécuter une tâche qu’iel n’a pas conçue. Iel n’a pas non plus conçu les outils lui permettant de l’exécuter. Voilà l’enseignant.e prolétarisé.e au possible et ainsi plus facilement remplaçable par un.e autre salarié.e encore moins qualifié.e, quand ça n’est pas par une machine. Bien entendu nous ne sommes pas dans la situation des ouvrièr.e.s au début de l’ère industrielle mais celles ou ceux qui pensent que les analyses de ce blog sont exagérées et que les enseignant.e.s ne sont pas remplaçables par des « machines » sont invité.e.s à aller consulter les sites comme « Ma classe à la maison ».  

En cette fin d’année 2022, personne ne peut ignorer que l’école manque d’enseignant.e.s pour remplir sa mission. Il s’agit désormais de comprendre que cette pénurie n’est pas un accident ou le fruit d’une mauvaise gestion. Par la pression qu’elle exerce sur l’emploi elle est nécessaire à la mise en place d’une Organisation Scientifique du Travail enseignant. OSTE qui en prolétarisant les enseignant.e.s favorise en retour cette pénurie.

(1) voir à ce sujet notre note de blog du 22 janvier 2022 qui fait référence au principe de Baggage. 

Retour en haut