Evaluations : l’OSTE en fonction des résultats des élèves

Les évaluations nationales standardisées s’imposent toujours un peu plus dans le métier des professeurs des écoles. Elles sont un outil de l’Organisation Scientifique du Travail Enseignant, visant à modifier les pratiques en organisant leur pilotage en fonction des résultats des élèves.

Evaluer les apprentissages des élèves est un incontournable du métier enseignant, quelques soient les types d’évaluations dont on parle. De tous temps, l’éducateur régule son activité en fonction des apprentissages de l’élève et on peut écrire sans grand risque de se tromper qu’évaluer fait partie du métier de professeur des écoles. Je rajoute que, du point de vue de l’analyse du travail enseignant, les performances des élèves, leurs difficultés à réaliser une tâche, leurs résultats à tel ou tel exercice … tout cela joue un rôle déterminant comme organisateurs de l’activité enseignante. Plus largement dans la société, les évaluations à l’école sont sources de débats, de discussions, de remises en cause, que ce soit à des fins pédagogiques ou politiques. L’objet de cette note de blog n’est pas de s’imposer dans ces débats sur l’école mais de regarder en quoi les évaluations comptent aujourd’hui parmi les leviers principaux de l’OSTE.

Tout d’abord on observe que les évaluations standardisées, type « évaluations nationales CP », prennent de plus en plus de place dans l’emploi du temps du professeur des écoles pour qui elles deviennent une préoccupation centrale à certaines périodes de l’année. Les enseignants peuvent les passer en toute bonne intention puisque le site EDUSCOL précise que ces derniers vont pouvoir « utiliser les évaluations pour faire progresser les élèves ». Et quel professeur n’a pas envie de faire progresser ses élèves ? Bien sûr le lecteur critique du site EDUSCOL y verra noté ensuite les intentions sous-jacentes d’évaluations mises en place « pour permettre aux enseignants d’adapter leurs pratiques ».

Adapter les pratiques, modifier les gestes professionnels … la volonté de Frederick Winslow Taylor se réalise à l’école au travers de la mise en place de ces évaluations standardisées.

Cette volonté ne date pas d’aujourd’hui et des petits Fayols ont tenté de contraindre les pratiques enseignantes à partir des évaluations bien avant Jean-Michel Blanquer. Enseignant débutant en 2003, j’ai dû faire passer des évaluations à mes élèves. Je ne me souviens plus à quel ministre nous en devions la paternité (Allègre, Lang ou Ferry sans doute ?), mais les BO de l’époque ne cachaient pas les intentions d’évaluations conçues alors pour être « des outils de pilotage du système éducatif pour contribuer aux décisions des responsables de la politique éducative à tous les niveaux. Elles permettent d’appréhender la réalité pour une régulation de la politique éducative. ». Comprenez par-là que les résultats des évaluations seront surtout utilisés pour justifier des politiques en réalité guidées par la rigueur budgétaire. Aujourd’hui le pilotage des politiques éducative au regard des résultats aux évaluations est pleinement assumé et l’actuel ministre de l’Education le met en avant dans son livre « l’école de demain » en positionnant « les comparaisons internationales » comme pilier central de la transformation de l’école. L’objectif des évaluations standardisées qui ont lieu au même moment partout sur le territoire, c’est de donner une photographie de l’instant des performances des élèves pour les comparer aux autres pays de l’OCDE ou de l’Europe.  

Les résultats de ces évaluations sont alors doublement mis au service de l’OSTE : par la lente adaptation des pratiques professionnelles pour mieux répondre aux exigences des évaluations, et par la promulgation de livrets ou de protocoles élaborés pour modifier les pratiques professionnelles.  

En effet, petit à petit, guidé par son petit livre orange ou par l’intention d’améliorer les résultats de ses élèves aux évaluations, le maître d’école modifie ses pratiques professionnelles. Dans les faits on assiste surtout à des pratiques de type « bachotage » et à la réduction des matières enseignées aux savoirs qui seront « évaluables ». Les recommandations ministérielles pour améliorer les résultats des élèves se font pressantes, s’inscrivant dans une logique d’individualisation des apprentissages : il faut (pour améliorer les résultats) cibler la difficulté et agir dessus. Cela passe par une pédagogie plus « explicite », qui découpe la tâche de l’enfant au maximum, la décontextualise, et au final ne s’adresse pas à l’enfant mais à un sujet neurocognitif. Ce qu’il faut, c’est que l’élève soit d’avantage performant et pour ça il faut l’entrainer individuellement. Des pratiques professionnelles émergent qui sont à l’inverse des démarches par tâtonnement, où le collectif et l’erreur ont leur importance. Le pilotage des pratiques pédagogiques par les résultats des élèves à des évaluations standardisées ne réclame pas tant que les élèves en difficulté « comprennent » mais qu’ils performent en appliquant des procédures. Bien entendu, les enfants en réussite, ceux des catégories sociales supérieures, peuvent continuer à se développer avec intelligence à l’école.

L’OSTE utilise les évaluations standardisées pour modifier en douceur les pratiques enseignantes et ainsi modifier l’école.

Pour les professionnels qui résistent à ce tropisme, le nouveau management public sait déployer des mesures plus autoritaires. Par exemple dans une circonscription des Bouches du Rhône, j’ai eu témoignage de 2 directeurs d’école convoqués chez l’IEN car leurs écoles ont obtenu les 2 plus mauvais résultats aux évaluations CP. En toute « bienveillance », le supérieur leur demande alors un compte rendu de ce qui est mis en place dans leur école, dans le projet d’école, pour lutter contre l’échec en lecture de leurs élèves. L’objectif bien entendu est alors d’aider l’équipe pédagogique à améliorer des compétences professionnelles à grand renforts de visites de CPC, de guides de bonnes pratiques ou de préconisations ministérielles. Inutile de dire à cet inspecteur que quoi qu’il fasse, il y aura toujours une école qui aura les plus mauvais résultats dans sa circonscription, c’est le principe même d’une évaluation standardisée et notée ! Son intervention n’est alors pas d’améliorer les apprentissages des élèves mais soumettre le travail des enseignants à une autorité. On en trouve un autre exemple relaté par le journal « La Montagne »[1] : dans la Creuse, ce n’est pas tant les résultats qui ont inquiété la hiérarchie que le taux de remontée des évaluations par les enseignants. Pour l’OSTE, il y a urgence à remettre au pas ces récalcitrants !

Au-delà de quelques résistants, la plupart des enseignants jouent le jeu des évaluations. L’OSTE semble efficace… mais efficace pour quoi ?

Visiblement pas pour les apprentissages des élèves, comme annoncé par les ministres de l’éducation pour justifier la mise en place des évaluations. C’est ce qu’une bonne partie des chercheurs en science de l’éducation avaient prévu, et c’est ce que montre la récente note DEPP[2]. En effet, entre 2019 et 2020, contrairement à l’objectif annoncé de lutter contre l’échec scolaire et de réduire les inégalités, cette note rapporte que « en français, on observe des évolutions négatives dans sept domaines sur huit. ». Elle rajoute « La baisse des performances est visible quel que soit le secteur d’enseignement, y compris le secteur privé, que ce soit en mathématiques ou en français. ». Et en ce qui concerne les inégalités scolaires on peut y lire que « En 2019, l’écart de performances entre les élèves scolarisés dans le secteur public hors EP et les élèves scolarisés en REP est de 6,1 points de pourcentage. En 2020, cet écart est de 9,3 points. ». L’OSTE par les évaluations standardisées ne semble donc pas permettre l’amélioration réelle des compétences scolaires des élèves.

Résumons alors : l’Organisation Scientifique du Travail Enseignant par les évaluations modifie les pratiques des professeurs des écoles vers un bachotage qui creuse les inégalités scolaires, vers la réduction du panel des matières enseignées appauvrissant l’école, vers une individualisation des apprentissages en niant l’apport du collectif, tout cela avec comme corollaire de déprofessionnaliser les enseignants en les dépossédant d’une partie de leur métier, générant ainsi un sentiment d’incompétence nuisible à leur santé. On voudrait du mal à l’école qu’on ne s’y prendrait pas autrement non ? Mais le lecteur de ce blog commence à le comprendre : le but de l’OSTE dans une logique libérale n’est pas de modifier les pratiques pour un école plus juste et plus démocratique.   

[1] https://www.lamontagne.fr/gueret-23000/actualites/evaluations-en-cp-et-ce1-la-creuse-serait-elle-une-mauvaise-eleve_13902024/#refresh

[2] https://www.education.gouv.fr/evaluations-2020-reperes-cp-ce1-premiers-resultats-307122

Retour en haut