Depuis 2005, l’école française s’inscrit dans le paradigme inclusif. Un renversement de perspective qui nécessite une grande modification des pratiques enseignantes, L’OSTE est alors convoquée pour répondre à ce grand défi de la République. Mais dans les faits, l’OSTE s’attaque au métier des enseignants pour mieux libéraliser leur institution.

Depuis 2005, l’école française s’inscrit dans le paradigme inclusif. Un renversement de perspective qui nécessite une grande modification des pratiques enseignantes, avec l’objectif annoncé de permettre à tous les élèves de fréquenter l’école publique. L’OSTE est alors convoquée pour répondre à ce grand défi de la République. Mais dans les faits, l’OSTE s’attaque au métier des enseignants pour mieux libéraliser leur institution. Déconstruisons cette supercherie.
L’histoire de la prise en charge dans notre société, et dans l’école en particulier, des personnes porteuses de handicap, emprunte plusieurs chemins. Des logiques ségrégatives, voire exclusives, on est lentement arrivé à des logiques adaptatives visant à l’intégration des personnes déficientes au système scolaire ordinaire. De la Grèce antique où les victimes de malformations étaient abandonnées sur le mont Taygetus à l’« école pour tous », en passant par les actions médico-pédagogiques de Bourveville au 18° siècle, l’évolution de la scolarisation des enfants porteurs de troubles est le reflet de la place qu’occupent les personnes handicapées dans la société. Dans cette longue histoire, la promulgation de la Loi de février 2005 marque un tournant historique, et à l’échelle de l’école, une véritable révolution. Désormais chaque enfant est inscrit à l’école dans une classe de référence correspondant à sa tranche d’âge qu’il doit fréquenter autant que possible. Dans les faits, les instituts spécialisés tendent à se vider et l’inclusion en milieu scolaire devient la règle. C’est philosophiquement une belle avancée sociale et humaniste, mais pour que les enseignants accueillent d’avantage d’élèves en situation de handicap dans leurs écoles, cela demande une formidable modification de leurs pratiques professionnelles.
L’Organisation Scientifique du Travail se met alors au service d’un projet républicain noble et ambitieux : transformer des pratiques professionnelles intégratives, voire ségrégatives, en pratiques inclusives. L’avènement de l’école inclusive est entre les mains de ceux qui y travaillent. Mais si les véritables intentions politiques n’étaient pas tant d’accueillir tous les élèves en situation de handicap à l’école que de globalement baisser les coûts des politiques publiques, alors l’OSTE deviendrait le sigisbée des théoriciens libéraux.
Casser une culture professionnelle pour un modeler une nouvelle
Le métier porte en lui des normes et des valeurs autours desquelles il s’organise. Une valeur forte du métier des professeurs des écoles est sans nul doute l’égalité. Egalité de traitement de tous les élèves, sans aucune distinction que ce soit, y compris un handicap. Mais l’arrivée dans les classes d’élèves aux comportements difficiles à gérer, aux troubles cognitives sévères, aux niveaux scolaires largement en deçà des autres élèves de la classe… vont créer le trouble dans cette culture et requestionner la notion d’égalité. Peut-on traiter de manière égalitaire tous les élèves ? L’école était-elle prête à accueillir les élèves fortement handicapés dans ses établissements ? Les modifications que cela demande dans son organisation ne risquent-elles pas de mettre en difficulté l’institution tout autant que ceux qui y travaillent ? Etant donné que ce sont les mêmes personnes qui ont mis en place les décrets d’application de la loi de février 2005 et celles qui verraient d’un bon œil la fin de l’école publique, sans doute que la question ne s’est pas posée. La longue histoire du métier enseignant doit prendre un tournant à marche forcée, peu importent les dégâts occasionnés.
La prescription et l’exemple des protocoles
Dans un précédent article de ce blog, nous avons vu le rôle central de la prescription dans l’OSTE. Concernant spécifiquement l’accueil des élèves en situation de handicap, toutes les panoplies de prescriptions dont le but est la modification des pratiques au regard de « bons gestes scientifiquement élaborés » sont convoquées. La prescription n’est pas mise au service du travail, c’est le travail qui se met au service d’une prescription tantôt floue, tantôt fermée, tantôt impossible. L’exemple des protocoles pour la prise en charge des élèves perturbateurs en est l’illustration parfaite. On en trouve sur le site du ministère, sur les sites des académies ou de certaines circonscriptions, voire sur des sites de syndicats enseignants. Tout le monde s’accorde sur la prescription de conduites à tenir pour gérer les crises d’élèves perturbateurs. Celui de l’Académie de Toulouse est particulièrement complet, nous en ferons une analyse dans une prochaine note de blog :

protocole élèves perturbateurs Ac Toulouse © http://www.ac-toulouse.fr/cid132687/guide-reperes-ash-pour-aider-et-accompagner-les-eleves-en-difficulte-de-comportement.html
Ces protocoles ont en commun de dire ce qu’il faut faire aux enseignants à partir de préconisations élaborées en dehors de leur situation de travail. Nous sommes dans la grande tradition taylorienne de l’OSTE qui consiste à dire au travailleur comment réaliser sa tâche en la découpant un maximum. Cette division horizontale du travail évite soigneusement de remettre en question l’organisation du travail et renvoie à la responsabilité de chacun, à l’individualisation des pratiques, et ce faisant prépare la vente à la découpe de l’institution scolaire.
La formation aux bons gestes
Qu’elle soit initiale ou continue, la formation dispensée aux enseignants se résume de plus en plus à la diffusion de bons gestes. Des bons gestes eux aussi élaborés en dehors de la situation de travail, scientifiquement éprouvés, visant à transformer le métier par la transformation des pratiques. La formation dans la logique de l’OSTE est l’inverse d’une formation par l’expérience partagée, par la confrontation des pratiques professionnelle, par l’intérieur du métier. Le métier est d’avantage perçu comme un obstacle, un empêchement à la transformation des pratiques comme voulues par les cadres, qu’une ressource pour le travailleur. Dans le cadre de l’inclusion scolaire, la formation dispensée aux enseignants doit d’abord déconstruire la culture professionnelle pour imposer des pratiques validées par « la science ». Peu importe les dégâts sur le métier et sur ceux qui le pratiquent. A l’écriture de ces lignes, j’en viens à me demander s’il est encore correct d’appeler ça une formation tant le réel de l’activité de travail y est nié par l’OSTE.
Une science basse et lourde qui pèse comme un couvercle
Qui dit « organisation scientifique du travail » dit « science » bien évidement. Mais de quelle science parle-t-on ? Qui sont ces scientifiques dont les résultats vont inspirer les cadres de l’Education nationale, être à la source des prescriptions et au cœur de la formation des enseignants ? Etant donné que la science est convoquée pour supplanter l’expérience professionnelle, il est important de se demander qui sont ces scientifiques qui nous disent comment adapter un document pour un élève dyslexique, comment expliquer une consigne à un élève TFC, comment cadrer la tâche d’un élève TED… Et d’abord qui a créé toutes ces catégories d’enfants « à besoins éducatifs particuliers » là où les enseignants ne voient souvent que des élèves. Se baser sur LA science c’est ignorer qu’il existe au sein des organismes de recherches des rapports de forces, guidés par la recherche de financements. Eh oui, « LA science » n’est pas en dehors du monde marchandisé dans lequel nous vivons, ni au-dessus des préoccupations financières. L’OSTE se mue alors en vecteur commercial pour ceux qui veulent vendre leurs outils, promouvoir leurs méthodes, gagner des parts de marché.
La multiplication, des dispositifs et des outils, qui rend fou
La logique inclusive, véritable avancée humaniste il convient de le rappeler pour éviter tous malentendus, couplée à une OSTE, se mettent au service de la destruction du métier enseignant. Mais celui-ci doit sans doute encore trop résister. Les penseurs libéraux du nouveau management public ont dans leurs besace tout un arsenal de techniques visant à accélérer la chute de la résistance par le métier. Une de ces armes, c’est l’instabilité professionnelle qui génère un tel inconfort pour le travailleur que celui-ci préfère se réfugier dans les prescriptions fermées, dans les protocoles, dans les bons gestes… plutôt que de continuer d’inventer, de créer : de résister. Pour générer une instabilité professionnelle, quoi de mieux que de changer les dispositifs, les outils de travail, les consignes… comme on change de ministre ! Depuis la Loi de février 2005, le champ de l’éducation spécialisée en est l’illustration parfaite et la valse des sigles est lancée : ULIS, PPRE, GEVASCO, PAI, PPS, RASED, TSA, EBEP, SESSAD, TED, ITEP… Une valse à 1000 temps où à peine le travailleur tente de s’approprier un dispositif, de mettre à sa main un outil, qu’un nouveau fait son apparition à grand renfort de prescriptions. On le sait avec Rabardel, la genèse instrumentale est un processus long, l’instrumentation d’un artefact ne se fait pas en un jour. Mais qu’importe puisque l’OSTE n’entend pas tant améliorer l’école que d’organiser son impuissance.
Des collectifs javélisés
Le métier, c’est le collectif que chaque travailleur porte en lui quand il est à la tâche. La force du métier tient à la force du collectif et c’est en toute logique taylorienne que l’OSTE doit s’attaquer aux collectifs de travail pour affaiblir le métier. Il pourrait suffire aux tenants du nouveau management public de détruire tous les collectifs de travail existants, comme ce peut-être le cas lorsque la formation continue se fait en distanciel ou lorsque les RASED disparaissent. Mais la manœuvre n’est pas toujours aussi grossière. Parfois, l’OSTE préfère maintenir l’illusion d’un travail collectif tout en le dévitalisant. C’est le cas par exemple des Equipes de Suivi de la Scolarisation (ESS) pour les élèves en situation de handicap, dont toute possibilité de parler de l’organisation du travail est écartée. Les ESS sont organisées pour centrer la discussion sur l’élève, sur ses troubles, sur l’aménagement d’un projet pour sa scolarité, tout en écartant les nécessaires disputes professionnelles sur le travail. Or un collectif de travail se définit justement par la nature des débats en son sein, dont l’objet est le travail. Les professionnels sont ainsi réunis autour d’une table pour remplir des tableaux. Une table sur laquelle les problèmes du travail et la manière de les résoudre, sont absents. Un paradoxe qui signe la façon détournée avec laquelle l’OSTE javélise les collectifs de travail pour mieux imposer ensuite des gestes professionnels standardisés.
La pression de l’externalisation
Et si l’école faillit à sa mission d’inclusion des élèves en situation de handicap, que se passera-t-il ? Tout un parterre de professionnels libéraux sont déjà là pour prendre le relais d’une école qui n’aura pas assez bien su intégrer tous les élèves. Au-delà du projet de vente à la découpe de l’école ou de territorialisation de l’éducation nationale (logiques qui se nourrissent l’une et l’autre), l’externalisation possible de la prise en charge des élèves en situation de handicap crée une pression sur les pratiques professionnelles dont s’empare l’OSTE. Des professionnels du secteur médical, avec une autre culture de métier (ignorante par exemple des enjeux de gestion du groupe classe pour un enseignant) vont avoir un rôle prescriptif sur les pratiques. Du conseil bienveillant donné au cours d’une ESS à la lettre injonctive du médecin à l’attention du maître d’école, des professionnels extérieurs au métier enseignant sont de plus en plus susceptibles d’influer sur les pratiques. La professionnalité des enseignants est ainsi remise en cause et le métier affaiblit, ce dont profite largement l’OSTE.
L’OSTE joue un grand rôle dans la construction déclarée d’une école accueillante pour tous les élèves. Mais de nombreux indices laissent penser que les intentions économiques réelles des gouvernements ne correspondent pas aux intentions politiques affichées de scolariser les élèves en situation de handicap. Il convient d’être alors lucide sur le véritable projet que sert l’OSTE : affaiblir le métier enseignant pour mettre sur le marché des pans entiers de l’école et faire marcher le reste comme une entreprise dont il faut diminuer les coûts de fonctionnement.